Les cartes postales

 

 

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Vie quotidienne

Les cochonnailles
 
Les cochonnailles
 

Pendant la "fête du cochon", on est frappé par l'organisation du travail, un modèle.

Une personne donne des ordres : c'est la femme la plus ancienne de la famille, elle détient l'autorité que lui confèrent l'expérience et le souci du respect des traditions. Sur les cartes ci-dessous, elle se trouve bien droite en habits noirs et tablier blanc.

Les hommes interviennent au début surtout, pour le sacrifice (puis pour les repas !), à quatre ils amènent la bête quelquefois énorme, plus de 200 kg, consciente du danger, rugissante, et l'allongent dans une auge en bois, la mée.

Avec une précision de chirurgien le bourreau va œuvrer : à un endroit qu'il choisit minutieusement selon la bête, il enfonce son couteau jusqu'à une certaine profondeur, le fait pivoter d'un quart de tour, le déporte par côté, tranche et c'est fini. Quelques secondes, le sang coule, soigneusement récupéré dans un chaudron, puis tourné sans arrêt à la main par la responsable (habillée de blanc); de temps en temps elle jette aux chiens les filaments de fibrine qui se forment, ils feraient cailler le sang.

 

Arrosé d'eau presque bouillante le cochon est minutieusement "pèler" avec des grattoirs et des cuillers, on le retourne avec les deux chaînes prévues à cet effet au fond de la mée.

 

La "toilette" finie, on le suspend par les pattes de derrière tenues écartées par un bâton. Le "coupeur" peut alors intervenir, il a le savoir-faire d'un boucher. Les hommes alentour font des commentaires sur la qualité de la bête, l'épaisseur du lard, signes qui ne trompent pas pour apprécier la maison.

 

La première tâche dévolue à deux femmes est d'aller à la rivière laver le "ventre", c'est à dire les boyaux et la panse. A midi, on mange le cœur et le foie s'ils n'ont pas été mis au pâté, une poule farcie, quelques poulets rôtis, une petite salade, pas de fromage, une tourte, ou un massepain, ou des gâteaux au fer en forme de cornets, café, pousse-café pour les hommes. Le soir, se sera les entrebious. Le cochon sera laissé au frais, en paix toute le nuit, pour que la chair rassisse. Le lendemain, les morceaux sont livrés découpés aux femmes qui vont devoir travailler deux jours pour hacher, parer, mettre en bocaux le confit, etc.
Il peut y avoir là 10 personnes ou plus qui y travaillent. La préparation du boudin est à elle seule tout un cérémonial. Dans un chaudron, on prépare un bon bouillon de légumes : carottes, navets, oignon piqué de clous de girofle, poireaux, sel et poivre. La viande destinée au boudin va cuire trois heures dans ce bouillon : poumons, rate, foie et cœur s'ils n'ont pas été prévus pour être mangés à part, gorge (goula) dont les entrebious. Une fois cuite, cette viande sera retirée du bouillon et hachée, elle ira remplir les boyaux, quelquefois on rajoutera de l'oignon, au moins pour une partie. Puis le sang est ajouté à ce mélange, il a été assaisonné par la maîtresse de maison responsable de cette opération délicate - elle le goûte alors cru - avec sel, poivre, épices, dans des proportions qu'on ne dévoile pas. La chose sera jugée ultérieurement. Les boyaux sont préparés, la graisse qui adhère est enlevée au couteau, leur étanchéité est testée par deux femmes qui soufflent à chaque extrémité. Une extrémité est fermée avec une ficelle de 60 cm, puis le boudin est rempli avec un entonnoir. Le mélange doit être tassé, mais pas trop, car si le boyau venait à éclater à la cuisson ce serait la déchéance, et on ne plaisante pas. On ferme l'autre extrémité qu'on joint à la première, on attache au bout d'un bâton. Les boyaux vont être trempés dans le bouillon pour la cuisson finale, mais l'opération ne se fait pas sans précautions. Au préalable, la responsable de la cuisson exige, autoritaire et indiscutée : un homme va aller dans le jardin couper des feuilles de chou, les portes et fenêtres de la pièce sont fermées et le resteront impérativement pendant la cuisson, ce qui signifie que personne ne pourra ni entrer ni sortir de la pièce. Et pendant une demi-heure elle tient son bâton lui donnant un mouvement de haut en bas lent et régulier, elle évite de faire toucher le fond aux boudins, tout en gardant un œil attentif sur le feu. Personne ne parle. Quand elle l'a décidé, elle sort les boudins du bouillon, les regards sont fixés sur les boudins : tous sont entiers, ça va, on apprécie et on le dit ; l'un d'eux s'est crevé, c'est la réprobation, la honte. L'homme revient avec les feuilles de chou qu'il étale sur une table et sur lesquelles on va poser les boudin avec précautions, ils sont encore fragiles. Avec le bouillon, on va faire de la pâte avec de la farine de maïs toute imprégnée de cet élixir de bouillon, on la fera griller plus tard.
Le lendemain de la cérémonie, c'est la tradition, toujours un geste : un petit échantillon de boudin, de saucisse, de filet est offert à un voisin ou ami qui n'a pu être présent, ou au curé, à l'instituteur, au facteur. Souvent le tueur reçoit un joli morceau comme rétribution.
Le second jour, on ne chôme pas, c'est au tour des épaules et des jambons d'être traités : gros sel sans compter, poivre grossier pour écarter les mouches pondeuses et, comme destination, soit la cendre, soit, enveloppés dans un sac de coton, séchage dans une pièce aérée. Le lard est mis au sel quelques jours, puis suspendu à côté des jambons. Le lard de poitrine ou ventrêche sera roulé avec sel et poivre comme un rôti. On en fera des tranches pour aller avec les œufs au plat. Délicieux. Le tri de la viande fournit des petits morceaux qui, salés (30g/kg), poivrés, hachés, vont à la saucisse et au saucisson. On rajoute quelquefois de l'ail pour une partie. Séchage avec les jambons, consommation dans les deux à trois mois. Si certains morceaux nobles comme les filets, côtes, longe et autres rôtis, ou les coustous vont être vite mangés, une grande partie sert à faire du confit qui conserve la viande pendant des mois dans des pots en terre vernissés réservés à cet usage. La viande est d'abord "mise au sel", tassée, et cuite à feu doux avec la graisse pendant trois heures.